CHAPITRE XXXI
Corran sourit à Erisi.
— Tu t’es bien débrouillée dans le simulateur…
— Essayer de vous descendre fait un drôle d’effet.
Bror eut un sourire de prédateur.
— Le terme important est essayer : Tu n’as pas eu plus de succès que les Impériaux en auront demain.
Nawara Ven jeta un regard mauvais à son co-équipier.
— Si tu as trouvé un moyen de brancher ton ego sur les boucliers, j’apprécierais que tu me donnes l’astuce.
— Dis-lui d’étendre ses boucliers pour nous couvrir ! Il a assez d’ego pour un escadron ! lança Rhysati.
Bror se tourna vers Corran.
— Les gémissements des inférieurs sont parfois fatigants, non ?
Corran ne sut pas ce qui l’étonnait le plus : que Jace dénigre ses collègues, ou qu’il juge bon de l’élever au rang de ses pairs.
— Je n’appellerais pas ça des « gémissements », et je ne les considère pas comme « inférieurs ». Nous avons descendu quelques ennemis de plus qu’eux. Ça n’est pas une raison suffisante pour dire ce genre de choses !
Le Thyferrien eut l’air pensif.
— C’est vrai. Et ma remarque était une plaisanterie du même ordre que les vôtres. Désolé que vous l’ayez mal interprétée. Je serai honoré de voler avec vous demain.
— Sur ce, dit Nawara Ven, je vais me coucher. À demain.
Rhysati lui tendit la main.
— Attends, je rentre aussi. Nous avons tous besoin de sommeil.
Gavin bâilla.
— Je voudrais enregistrer un message pour mes parents. Biggs n’en a pas eu le temps. Oncle Huff l’a toujours regretté.
— Ils seront fiers de toi, Gavin, dit Corran avec un clin d’œil.
Bror salua ses compagnons.
— Je désire aussi enregistrer un message pour mes parents.
Corran resta seul avec Erisi. La jeune femme lui prit la main.
— J’aurais aimé venir avec vous demain.
— Selon comment les choses tournent, tu seras peut-être contente de n’être pas venue.
— Ne dis pas ça. Il sera pire de survivre à cette mission que d’y laisser sa peau. Si tu ne reviens pas, je ne cesserai jamais de me demander si ma présence aurait fait une différence.
— Il est peut-être dur de survivre, mais moins que de mourir, crois-moi !
— Tu as raison. Pardonne-moi d’être si égoïste. Ignorer le nom du monde sur lequel tu risques de mourir ne te trouble pas ?
Je connais le nom de la planète… Mais ça ne rend pas la mission plus facile.
— Erisi, je n’y ai pas beaucoup réfléchi. Les Impériaux veulent me tuer, et je n’ai pas de sentiments très fraternels à leur égard. L’endroit où nous nous battrons n’a pas vraiment d’importance.
— C’est important pour moi. Si les choses tournent mal, j’aimerais y aller, peut-être pour m’assurer qu’un monument y soit érigé…
La voix d’Erisi se brisa. Corran sentit un frisson lui parcourir l’échine.
— Ne t’inquiète pas, Erisi, tout ira bien. Sais-tu comment l’Escadron Rogue pourrait devenir encore plus fameux que celui de l’époque de Biggs ? En durant plus et en faisant plus de choses. Et j’ai l’intention bien arrêtée de vivre aussi longtemps que possible !
— Je l’espère, Corran. J’aurais seulement aimé savoir où vous allez. Ça ne t’intéresse vraiment pas ?
— Peut-être pour mes mémoires… D’ici une cinquantaine d’années, cette opération ne sera plus un secret défense. J’aurais le droit de l’inclure dans mon autobiographie.
— Même si je devais attendre cinquante ans, je ferais construire un mémorial. Corran, tu sais que Rhysati ne rentrera pas cette nuit. Tu peux rester avec moi, si tu veux.
— Il ne vaut mieux pas.
— Tu es sûr ? Même pas pour ajouter un chapitre à tes mémoires ?
— Il en faudrait au moins deux… Mais si j’acceptais ton invitation, je ne fermerais pas l’œil de la nuit. Et ça risque de me tuer. Je mourrais heureux, mais je doute que le reste de l’escadron apprécie.
— Je comprends, dit Erisi en baissant les yeux.
Je dois être dingue. Voilà la deuxième fois que je refuse les avances d’une des femmes les plus désirables que j’aie rencontrées.
Corran esquissa un sourire.
Bien sûr que je suis dingue ! Je me suis porté volontaire pour retourner sur Borleias…
— Pourquoi as-tu souri ?
Corran lui caressa la joue.
— Je pensais que tu étais une bonne raison de revenir vivant de la mission…
Erisi se pencha et l’embrassa sur la bouche.
— Si tu ne reviens pas, je me sentirai mal jusqu’à la fin de mes jours.
— Je ne peux pas laisser une telle chose arriver, hein ?
— Certainement pas !
Elle l’embrassa de nouveau.
— Dors bien, Corran Horn, et vole de ton mieux demain.
La porte se referma sur elle. Corran retourna vers le logement qu’il partageait avec Ooryl.
Je vais être seul, puisque Ooryl passe la nuit au centre médical pour que les droïds vérifient son bras.
Un frisson parcourut Corran. Il fut à deux doigts de faire demi-tour et d’accepter l’invitation d’Erisi. Depuis la mort de son père, il s’était senti très seul. S’il ne passait pas tout son temps avec lui, Corran s’entendait bien avec son géniteur.
Ensemble, il n’y avait rien qu’ils ne puissent accomplir. Depuis sa mort, Corran avait fait de son mieux pour aller de l’avant, mais il avait quelques difficultés à déterminer où était ce fameux avant. Gil Bastra l’avait aidé. Depuis son départ de la CorSec, il avait l’impression d’avoir perdu son « compas moral ».
Corran était sûr que son père aurait compris sa décision de se joindre à l’Alliance.
Pourtant, une franche approbation aurait été plus difficile à obtenir. Corran ne saurait jamais à quel point. Mais il était sûr que son père aurait jugé la mission de Borleias stupide et dangereuse – et qu’il aurait été le premier à se porter volontaire.
— J’ai le même sens du devoir que toi, et je garde ton médaillon… Comme si tu étais encore en moi, quelque part…
Corran entra dans ses quartiers et alluma la lumière. Il avait commencé à ouvrir sa combinaison quand il remarqua la personne couchée sur le lit d’Ooryl, enveloppée d’une couverture.
— Que faites-vous ici ?
Mirax se leva, secouant sa longue chevelure noire.
— Votre ami Gand m’a fait entrer.
— Où l’avez-vous rencontré ?
— Au centre médical. La pompe de réfrigération du Pulsar a déraillé et envoyé du réfrigérant dans le système de ventilation. J’en ai respiré. Les droïds médicaux m’ont déclarée bonne pour le service, mais je ne pourrai pas retourner au vaisseau tant que le système ne sera pas purgé. Mon droïd s’en occupe. Votre ami m’a reconnue et il m’a proposé d’utiliser son logement. J’ai accepté, sûre que vous passeriez la nuit avec la reine du bacta.
— Vraiment ?
— J’ai vu le regard qu’elle vous a lancé quand je suis venue vous voir sur le Répit. Elle pourrait donner des leçons de possessivité à un Hutt !
— Vous avez dû respirer plus de réfrigérant que vous le pensiez, dit Corran.
— Pardon ?
— Je suis là, non ?
— Corran, je serais la première à dire que le fils de Hal Horn est plus intelligent qu’Erisi n’est jolie.
— Mais vous pensiez que je serais avec elle…
— Chacun peut se tromper. Par exemple, vous, si vous étiez resté avec elle.
— Si elle est possessive, qu’êtes-vous donc ? Protectrice ?
Mirax chassa une poussière imaginaire de sa tunique.
— Elle ne vous conviendrait pas.
— Qui me conviendrait ? Vous ?
— Rêve toujours, CorSec !
Corran avait entendu ce genre de remarque des centaines de fois, exprimées avec plus ou moins de véhémence. Il n’y avait jamais prêté une grande attention.
L’air penaud qu’afficha Mirax indiqua à Corran qu’elle n’avait pas eu l’intention de parler sans réfléchir.
Elle m’a lancé ça parce que j’ai osé suggérer qu’elle ne vaudrait pas mieux pour moi qu’Erisi… Et sa propre réaction l’a surprise !
Corran s’assit au pied du lit d’Ooryl.
— La journée a été longue, et les choses ne seront pas faciles demain. Je ne voulais pas vous vexer.
— Je sais… J’étais en colère contre les Thyferriens. Le prix du bacta est en hausse à cause d’une attaque ashern contre une usine de traitement. Du coup, je ne peux pas en acheter, et mon profit s’envole ! Je suis réduite à trafiquer de la nourriture et des pièces détachées. Ce n’est pas comme ça que je m’enrichirai !
— J’aimerais pouvoir t’aider, fit Corran, passant au tutoiement.
— Oh, tu le peux ! Si je voulais tuer mon père, il me suffirait de lui envoyer un holo lui annonçant que le fils de Hal Horn désire m’aider à passer des marchandises en contrebande.
Corran sourit.
— Je crois que les cendres de mon père essaieraient de reprendre forme humaine pour m’en empêcher ! Mais je maintiens ce que j’ai dit.
— Je te crois. Demain, si tu trouves quelqu’un prêt à signer un contrat d’import/export exclusif, pense à moi !
— La seule chose qui sera exportée si je parle à quelqu’un demain, ce sera moi ! Vers Kessel.
— Je veux une part sur les épices que tu sortiras des mines.
— Tu es trop bonne…
— Sérieusement… Ce sera une mission terrible, non ?
— Le seul point en notre faveur est qu’ils ignorent que nous attaquerons.
— C’est toujours ça… (Mirax toucha le médaillon de Corran.) Est-ce bien ce que je pense ?
— C’était le porte-bonheur de mon père. (Il enleva la chaîne et la lui tendit.) C’est une pièce sertie, ce qui me permet de la porter sur une chaîne. Mon père l’avait dans sa poche, mais je perds les choses trop facilement. C’est quoi, à ton avis ?
Mirax l’examina.
— Un Jedcred.
— Un Jedcred ?
— C’est ainsi que les appelle mon père : un raccourci pour « crédit Jedi ». C’était une médaille commémorative frappée quand un Jedi corellien atteignait le statut de Maître. On en faisait une douzaine de répliques et on les donnait au maître du Jedi, à sa famille, à ses amis et à ses étudiants favoris.
— Comment sais-tu autant de choses à ce sujet ?
— Aurais-tu oublié que je gagne ma vie en vendant des objets rares ? Une médaille de ce genre peut atteindre un joli prix. Comment ton père l’a-t-il eue ?
— Je l’ignore. Mon grand-père était en liaison avec les Jedi, pour coordonner leurs actions avec celles de la CorSec. Il avait un ami parmi eux. C’était avant la guerre des clones. Il disait que le seul Jedi qu’il avait bien connu avait été tué pendant cette guerre.
La jeune femme lui rendit le médaillon.
— J’espère qu’il sera un meilleur porte-bonheur pour toi que pour le Jedi dont le visage est gravé dessus.
— Tu n’es pas la seule à l’espérer, dit Corran, content de sentir de nouveau le poids familier du médaillon contre sa poitrine.
Il se leva, étouffant un bâillement.
— Désolé. Ce n’est pas que je m’ennuie en ta compagnie…
— Je sais. La journée a été longue et il est tard.
— Je dois me lever tôt pour enregistrer quelques messages. Mais pour le moment, j’ai besoin de dormir.
— Moi aussi.
Il enleva ses bottes et commença à retirer sa combinaison.
Puis il s’aperçut qu’elle le regardait.
— Je croyais que tu voulais dormir.
— C’est vrai, mais je me demandais…
— Oui ?
— Tu crois que tu auras assez chaud cette nuit ?
Corran enleva sa combinaison. La question était innocente, mais le ton de la jeune femme semblait plein de sous-entendus.
Il fut tenté. Avec elle, il oublierait ses peurs et sa solitude. Mais il n’était pas juste d’utiliser ainsi un être humain.
— Oui, Mirax. Je pense que j’aurai assez chaud…
— Parfait. Je voulais juste m’en assurer.
Corran éteignit la lumière.
— Corran ?
— Oui ?
— Tu es sûr d’avoir assez chaud ?
— Certain, dit-il, regrettant déjà sa décision.
— Très bien. Dans ce cas, tu ne verras pas d’inconvénient à me prêter ta couverture supplémentaire ?
Il sourit et lui lança la couverture.
— Bonne nuit, madame Terrik.
— Bonne nuit, monsieur Horn. Que la chance soit avec toi demain.